Emné Nasereddine
Lauréate du prix Émile Nelligan
Emné Nasereddine,
La danse du figuier,
Mémoire d’encrier
2021
Née en France en 1990, Emné Nasereddine a grandi au Liban, où elle a étudié la littérature française à l’Université Saint-Joseph à Beyrouth. Sa poésie s’inspire de son expérience de l’immigration, des frontières et du deuil, de la vie des femmes libanaises, et des traditions et rites qu’elle a découverts au Sud-Liban. La danse du figuier est son premier livre. Elle vit à Montréal.
Commentaire du jury, par Nathalie Watteyne, présidente.
Dans une méditation sur ses origines, la poète Nasereddine évoque trois figures de femmes : celle de la grand-mère, Téta, celle de la mère, Fadwa, ainsi que celle de la fille, Emné. Après la mort de sa mère, Emné dresse un constat lapidaire : « les femmes de mon pays meurent avant d’écrire ». Ce terrible constat motive sans nul doute la poète à désobéir à sa grand-mère, qui l’invitait à se trouver un mari. En choisissant plutôt de devenir écrivaine, n’en déplaise à la grand-mère, Nasereddine connaît plusieurs défis. Une fois arrivée à Montréal, la poète évolue sur un territoire où il n’y a pas de « senteurs familières ». C’est la poésie qui lui permettra de tracer son propre chemin dans son pays d’accueil, afin d’y semer les parfums du Liban.
À l’heure d’une guerre sans merci et d’un déplacement de population massif, ce livre s’adresse aux exilés nostalgiques de leur pays d’origine, ainsi qu’à celles et ceux qui voudront mieux comprendre combien quitter un pays laisse des traces indélébiles. Dans ce recueil, l’on peut sentir l’odeur des bombes, aussi bien que celle du thé, dans un parcours qui va de Beyrouth à Montréal, et chaque poème en vers se présente comme un départ et un ancrage, avec un arbre qui danse.
Se détachant de sa propre vie, de cette enfant qu’on a voulu sage, la survivante affronte paradoxalement sa propre absence et ce qui bruit en elle : « Je disparais. La répétition m’attire. Que signifie ne pas vouloir tenir son rôle ? » Contre les attentes, la laideur et la culpabilité, vivre est aussi un combat pour exister, pour apprendre à composer avec soi : « Je prends la joie pour ce qu’elle est, une version miniature de la mort, qui interrompt le temps avant de s’interrompre. »
Finaliste du prix Émile Nelligan
Daria Colonna,
La Voleuse,
Poètes de brousse,
2021
Camille Readman Prud’homme,
Quand je ne dis rien je pense encore,
L’Oie de Cravan
2021
Daria Colonna est née à Montréal. Elle a cofondé les éditions de la Tournure. Elle détient une maîtrise en recherche et création de l’UQAM. Elle est l’auteure de Nous verrons brûler nos demeures aux éditions de la Tournure.
Ne faites pas honte à votre siècle a été finaliste aux Prix des libraires, catégorie Poésie, ainsi qu’au Prix du gouverneur général.
Commentaire du jury
Avec La Voleuse, Daria Colonna propose un livre choc qui conjugue les genres littéraires, tenant à la fois du récit, de l’essai et du poème. Dès les premières pages, le ton est donné : il y a la confidence sans compromis d’une jeune femme qui affronte les aspérités de la vie, en nommant la honte comme la douleur, les désirs de mort et de vie emmêlés. Ce livre nous fait voyager en France, en Afrique et à Montréal, et se présente comme une charge virulente contre les ratés familiaux. Il révèle, avec autant de colère que de mélancolie, le vide laissé par le père absent et la tristesse héritée de la mère qui a été blessée par les siens.
Par-delà les réflexions sur l’héritage familial, Colonna part à la recherche de soi dans une quête qui passe par l’écriture. Plus on avance dans la lecture de ce récit fragmenté, plus les pièces du casse-tête forment une unité, et c’est la quête poétique qui prend alors le dessus sur le drame personnel. Sous la forme de proses hétérogènes, Colonna interroge sa filiation avec autant de courage que de lucidité. On est convié, à la fin du recueil, à la naissance de soi et à la lumière de l’écriture : « C’est pour laisser une chance à la vie que je recommence l’histoire du rayonnement ».
Camille Readman Prud’homme est née à Montréal. Elle a complété une maîtrise en création littéraire à l’Université du Québec à Montréal et poursuit présentement des études doctorales à la New York University. Elle collabore régulièrement avec diverses revues telles que Moebius, Zinc, Estuaire, Captures, Fracas et Tantôt. En 2018, elle a remporté le Prix du public-Moebius pour son texte « Majesté ». En 2021, elle a publié Quand je ne dis rien je pense encore à l’Oie de Cravan, également finaliste au Prix des Libraires.
Commentaire du jury
Dans son premier livre au titre programmatique, Camille Redman Prud’homme sort d’elle-même et partage ses observations sur le monde qui défile devant nos yeux avec une minutie extrême. À la manière d’une archiviste de l’intime, elle fait des listes de choses et s’attache à des bribes de conversations, à des scènes de la vie de tous les jours, ainsi qu’à des pensées intimes ou à des souvenirs lointains.
D’un texte à l’autre, l’acuité du regard est saisissante, n’est pas sans rappeler les « tropismes » chers à Nathalie Sarraute. Rien ne lui échappe des mouvements et impressions à l’origine des gestes et des mots qui président aux interactions humaines : « tu es à discuter avec quelqu’un et tu découvres tout à coup que tu parlais au vide, la personne est là mais ce n’est plus qu’un corps. »
Tel le promeneur solitaire baudelairien, Readman Prud’homme inventorie les allers et venues de gens qu’elle a connus, donne à voir et scrute mille et un agissements dans la ville. Vendeurs, chalands et êtres esseulés livrent des vérités insoupçonnées, rapportées dans une syntaxe et une prose éblouissantes, en une suite de tableaux aux tourbillons vertigineux.