Fondation
Émile-Nelligan

Éloge du lauréat du prix Ozias-Leduc 2010

Raymond Gervais

par Gaëtane Verna
Présidente du jury

Né en 1946 à Montréal, Raymond Gervais est un artiste dont l’œuvre allie l’installation, la vidéo et la performance. Il est à la fois musicien, auteur, homme de radio et il a contribué à l’avancement des connaissances en musique grâce aux chroniques qu’il rédige sur la musique et les arts visuels, notamment dans la revue Parachute. En tant qu’artiste, son importance historique et actuelle est frappante, mais trop souvent ignorée. Pourtant, il annonce cette intégration du sonore dans les arts plastiques et un intérêt pour les technologies du son si répandues dans de nombreuses pratiques aujourd’hui.

Issu d’une famille où la musique a toujours revêtu une importance manifeste, Raymond Gervais développera, et dès son jeune âge, un intérêt pour la chose sonore et cette fascination est l’un des leitmotive qui marque son parcours artistique. On comprend pourquoi, en tant qu’artiste visuel, toute son œuvre est marquée par l’univers du son dans lequel il puise et construit des relations entre l’image et le texte. Dès lors, dans ses installations et ses performances où il combine à la fois des documents d’archives, des objets de la musique comme des tourne-disques, des radios et des pochettes d’album, il utilise ces éléments pour créer des mondes parallèles où l’interdisciplinarité prend toute son essence et où la musique sera présente quelle soit imaginée, matérialisée ou silencieuse. Gervais s’intéresse au monde musical tout autant pour sa dimension sonore, que pour l’aspect visuel des disques, leurs possibilités plastiques et oniriques. Rendre visible l’invisible, grâce à des œuvres comme celles consacrées au vent c’est induire le spectateur dans un état de rêverie éveillée.

Les œuvres de Raymond Gervais font partie des importantes collections de la Art Gallery of Hamilton, la Art Gallery of Ontario, le Musée d’art de Joliette, le Musée des beaux-arts du Canada, le Musée des beaux-arts de Montréal, le Musée d’art contemporain de Montréal et le Musée national des beaux-arts du Québec.

À travers les années, Raymond Gervais aura également participé à des expositions majeures telles que : Aurora Boréalis (les Cent jours d’art contemporain de Montréal) 1985; Broken Music, (Musée d’art contemporain de Montréal) 1990; Roto-univers (Power Plant 1992); Seeing in Tongues (Helen and Morris Belkin Art Gallery) 1995; Le regard musicien (Musée d’art de Joliette) 1999; PHONO PHOTO, Carte grise à Raymond Gervais (Dazibao) 2001; Soundtracks : Re-Play (de la Edmonton Art Gallery et de la Blackwood Gallery) 2003; Are you talking to me ? (Galerie de l’UQAM) 2003; Cut (Galerie Leonard et Bina Allen) 2006 entre autres.

Il est donc inconcevable de considérer l’art conceptuel canadien des trente dernières années sans évoquer l’œuvre majeure de Raymond Gervais. Depuis ses débuts et tout au long des années 1970, il n’a cessé de concevoir sa pratique comme un alliage entre une constante remise en question de ce qui constitue le disciplinaire et sa propre matérialité. Son travail de nature expérimentale questionne les frontières et se situe plutôt du côté de la pensée et du concept.

Son corpus comprend entre autres des installations et des œuvres comme : 12 + 1 = de 1976, Où je suis (Musée des beaux-arts de Montréal, 1980), 12 + 1 = (4) + 9 = (Musée d’art moderne, Biennale de Paris, 1980), CapT (CIAC, Montréal, 1985), Elementa Musicae (Musée d’art contemporain de Montréal, 1987), Re : Henri Rousseau, le tourne-disque et la recréation du monde (Galerie Chantal Boulanger, Montréal, 1987), Piano pour Samuel Beckett de 1989En attendant Beckett de 1995, Claude Debussy regarde l’Amérique de 1990, Poème de l’air (d’après Marina Tsvétaeva) de 1998 et bien d’autres encore.

Alors, décerner le prix Ozias-Leduc 2010 de la Fondation Émile-Nelligan, un prix de création en arts visuels à Raymond Gervais est un acte légitime envers cet artiste qui représente au Québec un autre pôle, un autre parcours historique, hors du pictural et du sculptural, de la « matière ». Ce prix vient poursuivre le travail de reconnaissance et confirme, tant aux yeux de ses pairs qu’à ceux de l’ensemble de la communauté artistique, l’influence de cet artiste dans le développement d’une pratique proche de l’avant-garde, plus expérimentale, et qui s’inscrit parfaitement dans les courants que l’on retrouve ailleurs dans le monde.

En mon nom et celui des membres du jury, je tiens à vous exprimer une fois de plus mes plus respectueux hommages et profonds remerciements pour votre contribution artistique à l’histoire de l’art contemporain au Québec et à son rayonnement. En tant qu’artiste majeure votre pratique a une résonance étonnamment actuelle dans le monde des arts visuels où la matière sonore est devenue omniprésente en tant qu’élément essentiel des productions des jeunes créateurs. Votre rôle de participant actif à la vie artistique et votre influence sur le travail de plusieurs générations d’artistes sont également à souligner ici et à célébrer.

Encore une fois merci, et félicitations pour cette démarche présentant une cohérence formelle qui est à la fois poétique et d’une rare sensibilité et qui opère toujours à la limite de la musique et des arts visuels qui sont au centre de toute votre œuvre et lui confèrent toute sa singularité. Au contraire, et plus que jamais, cette œuvre se révèle à nous et nous rapproche de notre réalité présente.

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