Fondation
Émile-Nelligan

Éloge du lauréat du prix Serge-Garant 2009

Yves Daoust

Texte de John Rea
président du jury

J’ai le grand plaisir et le privilège de vous présenter le récipiendaire du Prix Serge-Garant de l’année 2009, Yves Daoust. Les mots que j’utiliserai ce soir proviennent en partie aussi de mes collègues, membres du jury de cette année, qui se sont prononcés à l’unanimité. Le tout vous tracera le portrait d’un maître compositeur, un maître pédagogue – et comme disait Adorno d’Alban Berg – maître de la transition infime, car le parcours d’Yves Daoust – son rôle en tant que précurseur de la musique concrète au Québec et ses premiers pas en cinéma qui l’ont mené à élaborer son langage unique de « créateur d’images par le son » – joue consciemment sur deux plans : passant de la musique pure à la musique narrative sans heurt ni frontière. Pionnier de l’électroacoustique d’ici, Yves a été et reste toujours un grand explorateur du son, un compositeur actif et original par son approche particulière de « l’ouïe », de l’écoute, un compositeur véritablement engagé dans l’artisanat du son.
Ma première rencontre avec sa musique, le premier choc pour moi et pour tant d’autres, se produit lors de l’audition de son œuvre, Quatuor réalisé en 1979 dans l’ancien atelier sonore de l’Office national du film. Voici une musique violente, une musique triste et mélancolique aussi, mais une musique encore liée au grain instrumental des cordes par atomisation de l’instrument, un souvenir, disons-le, démembré du genre du quatuor à cordes. Il n’y avait rien dans le monde musical à ce moment-là qui pouvait ressembler à cet exploit magnifique ; en 1980, l’œuvre reçoit le grand prix au Concours international des musiques électroacoustiques de Bourges ; et, treize plus tard en 1993, l’œuvre reçoit le prix Euphonie d’Or, également du Festival de Bourges. Bravo encore, Yves !

Nous avons tous admiré sa grande maîtrise du temps musical. À vrai dire, y a-t-il plus grande qualité chez un compositeur ? L’aspect « impressionniste » de sa musique (après tout, il est le compositeur-manipulateur d’impressions), sa capacité à forger différents niveaux de perception ; son travail sur la mémoire à divers degrés ; son langage délibérément simple et direct ; son contrôle de la forme ; la réalisation toujours raffinée et le travail méticuleux du détail fait d’Yves Daoust sans aucun doute un maître et un virtuose.
Nous aimons chez lui le créateur d’univers intimes dans lesquels nous sommes subtilement amenés à pénétrer avec simplicité, sans prétention. Sa musique évocatrice est un miroir qui réfléchit plutôt que d’imposer des images, des idées et des sentiments. Ces œuvres sont des tableaux sonores tracés avec une clarté onirique, objets modulés sans n’être jamais dénaturés, où l’écoute dépasse la seule audition immédiate pour devenir péripétie, où la dimension humaine s’impose dans un discours tissé avec une maîtrise technique remarquable. Il y a ici un rapport constant et fertile avec le passé, comme en témoignent quelques titres : La Gamme (1980), Suite baroque (1988), les deux versions d’Impromptu (1994-95), et Children’s Corner (1997). De plus, il y a également dans cette musique une dimension politique : telle Ouverture (1989), œuvre qui commémore le bicentenaire de la Révolution française, tout en illustrant à sa façon l’essor du nationalisme québécois. Signature musicale caractéristique chez Yves Daoust où se lisent à la fois naïveté et nostalgie, signes d’une humilité à vrai dire. Dans Impromptu, composé à partir de la Fantaisie impromptu en do dièse mineur de Chopin, le compositeur fait référence dans sa notice de programme à « une sorte de cri exprimant le mal à l’âme qui ronge toujours l’homme contemporain, malgré le mythe de la technologie libératrice. Mais nous ? », poursuit-il, « Ne restons-nous pas de grands romantiques… ? »
Ah, oui : la technologie. Yves Daoust nous a montré durant tant d’années de carrière en composition, comment il est nécessaire de se comporter, avec respect, avec sobriété de gestes et de vocabulaires, bref comment il est essentiel d’agir de façon créative devant les outils dotés de pouvoirs presque magiques. Prenez en considération le « Musicolateur », instrument électronique de création musicale destiné tout spécialement aux jeunes de niveau préscolaire, primaire et secondaire, mais aussi aux adultes afin de les sensibiliser à la musique et surtout à la musique d’aujourd’hui. Conscient de l’importance du développement de la sensibilité créatrice, dès le plus jeune âge, Yves Daoust a conçu il y a une douzaine d’années et a réalisé à l’aide de collègues, un instrument de création sonore pour être à la portée de tous sans qu’il soit nécessaire d’avoir une formation musicale. Appelé à l’origine La Table Musicale, le Musicolateur permet simplement, à deux doigts, de jouer avec le son de manière très complexe et très sophistiquée et de créer des univers musicaux inouïs. Plus tard, grâce à la collaboration de la Société de musique contemporaine du Québec et de son volet éducatif, la SMCQ Jeunesse, une nouvelle avenue de travail auprès des jeunes a été ouverte. À travers les ateliers, tous ensemble – spectacle, son et couleur – racontent une aventure aux enfants et stimulent un appétit pour la musique de notre temps.
De même, nous ne pouvons pas passer sous silence les deux grandes œuvres destinées également à un jeune public qu’Yves Daoust a composées, conjointement avec Denis Gougeon, pour l’Arsenal à Musique. Ce sont Planète Baobab (1999), qui a reçu en 2000 le Prix Opus en tant que meilleur spectacle pour jeune public, et Alice au pays des merveilles (2002-03).
Chaque œuvre nous fait découvrir la virtuosité d’Yves dans le domaine de l’électroacoustique en direct.

Aujourd’hui, trente ans après son travail comme concepteur sonore à l’Office national du film du Canada, trente ans après ses débuts d’enseignant au Conservatoire de musique du Québec où il allait devenir un pédagogue et communicateur reconnu et estimé, trente ans après la fondation de l’ACREQ (l’Association pour la création et la recherche électroacoustiques du Québec) qu’il a aidé à créer et qu’il a dirigé pendant près de dix ans, et maintenant trente ans après la création de son Quatuor, ce sont des chorals de Bach qu’il revisite en une fresque formidable de 45 minutes intitulée, Chorals ornés pour orgue et support électronique : enluminures greffées de courts poèmes, vaste prolongement, projet aussi réussi qu’il aura pu sembler irréalisable et vain ! Daoust orne Bach et il le fait circuler dans le monde moderne, ayant toujours égard aux bruits du monde, qui deviennent ici musique, en un terrain d’écoute où tout participe d’une installation musicale à la fois gigantesque et intime, un cinéma entendu précisément et où, pour reprendre les mots d’Henry David Thoreau, philosophe et naturaliste américain, dans son journal intime de janvier 1841 : Les couinements de la pompe [à eau, celle qui est manuelle et qui grince] paraissent aussi nécessaires que la musique des sphères.*

Par son engagement dans la production et la diffusion de concerts, par son développement d’un programme d’études en composition électroacoustique – certes, reconnaître ce compositeur c’est également reconnaître la place qu’occupe la musique électroacoustique au Québec, foyer d’une intense activité créatrice – par son objectif de réhabiliter le plaisir de l’ouïe en redécouvrant à travers ses compositions notre environnement sonore, par toutes ces choses, nous distinguons d’abord en Yves Daoust, l’authenticité et le degré d’achèvement de son œuvre, la constance de sa production et la substance de chacune de ses pièces.
Il nous semble que si existait l’appellation de « metteur en son », ce serait celle qui le décrirait le mieux et si nous n’avons que quelques mots pour résumer ce qui transpire de son œuvre, ils seraient : authenticité, poésie, raffinement et humanité.

* The squeaking of the pump sounds as necessary as the music of the spheres (23 janvier 1841)

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