Allocution du lauréat du prix Serge-Garant 2024
Denis Gougeon
Le Serge Garant que j’ai connu.
Son influence
Préoccupations
Le dernier cours de composition Image
Coda
Le Serge Garant que j’ai connu.
D’abord, permettez-moi de vous dire combien je suis profondément touché par l’Hommage que vous me rendez ce soir, et je l’accepte avec joie!
Toutefois, cette reconnaissance s’accompagne également d’une responsabilité, soit celle de poursuivre avec le plus de cohérence, de liberté et de rigueur mon travail de création entrepris il y a plus de 40 ans.
Tout comme pour les 10 lauréats avant moi, je reçois cet Hommage comme un rappel que nous sommes, à des degrés divers, des héritiers de Serge Garant. Et c’est en allant au bout de ce que nous sommes comme musiciens, avec toute notre intelligence et tout notre cœur, que nous saluons et perpétuons sa mémoire.
Je suis arrivé à Montréal en 1971, et c’est ici, dans ces lieux qui s’appelaient alors l’École de Musique Vincent-D’Indy que j’ai fait mes études en Musicologie tout en produisant mes tout premiers balbutiements de compositeur avec Soeur Rhené Jaque, compositrice. Par la suite, je me suis inscrit en composition à la Faculté de Musique de l’Université de Montréal où j’ai complété un Bac. en composition avec André Prévost et une Maîtrise avec Serge Garant.
À l’époque, la Société de Musique Contemporaine du Québec présentait ses concerts à la Salle Claude-Champagne. Depuis le milieu des années 60, la SMCQ représentait LA modernité en musique et Serge Garant en était assurément le phare le plus éclairant. J’ai assisté à ces concerts et quelques fois aux répétitions. Voir Serge Garant diriger avec toute l’économie de gestes qui le caractérisait, l’immense respect qu’il avait des interprètes car, comme il le disait, il continuait à apprendre d’eux, sa patience dans l’exécution de passages difficiles pour les interprètes ET pour lui-même étaient en soi de grandes leçons de musique où s’incarnaient le travail, la détermination, le plaisir de la découverte et la volonté de partager avec les auditeurs la pensée esthétique des créateurs d’ici ou d’ailleurs dans le monde.
Par la suite, j’ai eu le privilège d’avoir ma musique dirigée par Serge Garant, notamment Éternité composée pour mon épouse Marie-Danielle Parent et l’Orchestre Métropolitain du Grand Montréal devenu par la suite l’Orchestre Métropolitain. La création a eu lieu le 17 mars 1986.
Mais avant de nous quitter trop jeune, beaucoup trop jeune quelques mois plus tard, le 1er
novembre 1986, Serge Garant et la SMCQ m’avaient commandé une oeuvre qui allait s’intituler: Heureux qui comme, pour Marie-Danielle et 9 musiciens, créée en avril 1987.
Son influence
Ici, permettez-moi une analogie. En 1990, à la demande des Concours de Musique du Canada,
j’ai composé 10 pièces, pour 10 instruments différents, que j’ai intitulé: Six Thèmes Solaires. Présenté comme le système solaire, on a au centre PIANO SOLEIL (que nous entendrons tout à l’heure) et les 9 planètes qui reçoivent chacune la musique-lumière du Soleil sous formes de variations.
Ainsi en est-il de l’influence de Serge Garant qui, par sa vie de musicien exemplaire, a éclairé beaucoup d’entre nous, et ce, malgré nos « distances esthétiques » ou l’intensité de son rayonnement. Serge Garant n’a jamais chercher à fabriquer des disciples.
Il disait: « Si j’avais un conseil à donner à un jeune compositeur aujourd’hui, je lui dirais : Ne t’occupe pas de la mode, fais la tienne »
Impossible donc de ne pas être sensible à ce musicien aux talents multiples : compositeur, pianiste, clarinettiste, saxophoniste, chef d’orchestre, critique musical, professeur de composition et d’analyse, animateur à la radio. En ce sens, comme à bien d’autres, il m’a servi de modèle et je me suis m’impliqué autant que faire se peut dans le milieu de la musique moderne, ne restant surtout pas isolé comme compositeur.
Préoccupations
Serge Garant avec bien d’autres pionniers ont créer les conditions de reconnaissance du métier de compositeur, appuyé en cela à l’époque par le rôle essentiel de la Radio de Radio- Canada qui enregistrait et diffusait notre musique, souvent en partenariat avec d’autres radios publiques dans le monde.
Je me rappelle qu’il m’avait dit un jour qu’il fallait être vigilant, que rien n’est jamais acquis.
Ainsi, les années 90 ont vu le désengagement progressif et définitif de la radio de Radio- Canada: ça été une véritable entreprise de démolition d’une institution importante pour notre musique.
Aujourd’hui, quelles sont les traces de nos créations? Cette question devrait être au coeur de notre désir de garder vivante cette Mémoire.
Savez-vous que la plupart du temps les œuvres nouvelles ne sont jouées qu’une seule fois par les ensembles, et de 2 à 3 fois par certains orchestres, par exemple l’OSM, l’OM ou l’OSQ? Et les reprises, même par l’orchestre commanditaire, sont assez rares.
Quand je navigue sur la chaîne YouTube, je découvre plein de compositeurs dont les oeuvres ont été filmées. Puisqu’il s’agit d’un moyen exceptionnel de diffusion, pourquoi ne pas l’utiliser?
Imaginons un instant si tous les ensembles instrumentaux faisaient une captation vidéo des oeuvres qu’ils commandent, on aurait un formidable trésor reflétant la vitalité de notre activité créatrice!
À ce chapitre, il faut souligner la magnifique initiative du Quatuor Molinari d’avoir créer la Vidéothèque Québécoise du Quatuor Molinari où l’on trouve actuellement les oeuvres de douze compositeurs. En plus de la richesse d’informations sur le compositeur et son œuvre, ces vidéos deviennent de véritables cartes de visite planétaires! Il y a là un exemple à suivre, très certainement!
Un mot sur la situation de l’Art au Québec et les demandes récurrentes d’augmentation des budgets du Conseil des Arts et des Lettres du Québec. On a vu ce qui vient d’arriver à l’ensemble I MUSICI de Montréal qui a vu sa subvention coupée de 60%. Alors, comment peut-on parler d’Arts Vivants après une telle saignée?
Cette institution venait de fêter son 40ème anniversaire lors de la saison 2023-2024. D’ailleurs, mon œuvre SPASSIBA YULI, commandée pour l’occasion, est en nomination pour le Prix OPUS de la Création de l’Année 2024. Si la coupure avait eu lieu l’an dernier, je n’aurais pas pu composer cette oeuvre. J’ai une pensée pour les compositeurs et compositrices qui ne pourront peut-être pas bénéficier d’une commande de l’Ensemble dans l’immédiat.
Récemment, on a vu dans les journaux qu’une demande a été faite au Ministre de la Culture du Gouvernement du Québec pour lancer les États Généraux de la Culture et ainsi avoir une radiographie de la situation et les actions à entreprendre pour mieux la soutenir. Souhaitons qu’ils auront lieu. D’ailleurs, on pourrait faire de même pour l’éducation musicale dans le réseau scolaire.
LE DERNIER COURS DE COMPOSITION ou
Quand une leçon de musique se transforme en leçon de vie!
En lui montrant ma partition d’orchestre qu’il allait dirigée, Serge m’a fait remarqué que j’avais ajouté à mon introduction faite d’accords très dissonants aux cuivres, joués double-forte l’indication: en sourdine…! C’est alors qu’il m’a dit que j’étais trop timide…Il m’a alors raconté que lors d’un séjour à New-York: « Denis, j’étais tellement timide que j’ai passé toute la première journée dans ma chambre d’hôtel. J’avais peur de sortir dans la rue, peur de rencontrer des gens »
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En parcourant la vie et l’oeuvre de Serge Garant, une image a surgi. Son passage dans la vie musicale québécoise et canadienne aura été comme les crues du NIL en Égypte, inondant les rives, mais laissant un limon fertile et nourricier en se retirant.
CODA
En préparant cette allocution, il m’est apparu essentiel de remonter à la source de la soirée que nous vivons présentement.
C’est en créant la Fondation Émile-Nelligan en 1979 que son neveu Gilles Corbeil a jeté les bases des quatre Prix importants à partir des droits d’auteur de l’œuvre du poète qui totalisaient à l’époque 40,000$. Par la suite, Gilles Corbeil, homme de culture et grand mécène, a contribué très généreusement à la Fondation. Je trouve émouvant d’être rattaché, à travers le Prix Serge-Garant, à la mémoire du poète Émile Nelligan.
L’historien d’art Laurier Lacroix a écrit un très beau texte sur la vie et l’oeuvre de Gilles Corbeil en le qualifiant de « passeur tranquille ». Je me permets de lui emprunter le titre pour l’attribuer aussi à Serge Garant: un « passeur » tranquille.
Merci aux deux jeunes et merveilleuses musiciennes, Ariane Brisson et Chloé Dumoulin, ainsi qu’à la Fondation Émile-Nelligan, à Manon Gagnon, sa directrice toute dévouée, à Olga Ranzenhofer pour sa touchante présentation, et à tous ceux et celles qui de près ou de loin assurent la pérennité de la Fondation.
Et puisque la Fondation porte le nom d’un grand poète, je me tourne vers le poète romantique Alfred de Musset pour conclure.
Dans son poème La Nuit de Mai, la Muse dit au Poète:
« Poète, prends ton luth et me donne un baiser »
C’est avec cette invitation à se laisser inspirer que je vous dis Merci Beaucoup!
Denis Gougeon 16.11.24
Photo © Florence Mennessier