Éloge du lauréat du prix Ozias-Leduc 2004
Guy pellerin
Par Johanne Lamoureux
Directrice du département d’histoire de l’art et des études cinématographiques
à l’Université de Montréal et présidente du jury
Il me fait plaisir d’annoncer que le prix Ozias-Leduc de la Fondation Émile-Nelligan a été, à l’unanimité du jury, accordé cette année à monsieur Guy Pellerin. En décernant ce prix prestigieux à Guy Pellerin, les membres du jury saluent avant tout une production à la fois rigoureuse, voire par certains aspects ascétique, mais pourtant remarquablement séduisante et qui se déploie sur vingt-cinq ans déjà. Bien que le prix Ozias-Leduc soit décerné au lauréat de cette année pour l’ensemble de son œuvre, il est impossible de ne pas souligner que Guy Pellerin est un des rares artistes contemporains à s’être aussi ouvertement intéressé au maître de Saint-Hilaire dont le Prix des arts plastiques de la Fondation Émile-Nelligan honore la mémoire. Dès 1994, dans la série de Portraits, Pellerin consacrait une des œuvres de sa généalogie artistique à la figure d’Ozias Leduc. En 2001, il a participé à la restauration des toiles d’Ozias Leduc à la cathédrale Saint-Charles-Borromée et c’est de cette rencontre qu’est issue l’exposition intitulée La couleur d’Ozias Leduc et signée par le grand spécialiste de l’œuvre d’Ozias Leduc, l’historien d’art Laurier Lacroix.
Comme le rappelle le catalogue de cette exposition, Guy Pellerin est né en 1954 à Sainte-Agathe-des-Monts et il a étudié à l’Université Laval et au Massachusetts College of Art. Depuis 1979, il expose régulièrement son travail dans des expositions solos, il a participé à une cinquantaine d’expositions de groupe et a réalisé des commandes pour des lieux spécifiques.
Dès ses premiers objets-tableaux, Guy Pellerin s’est inscrit dans un des genres picturaux les plus provocants du XXe siècle, le monochrome, une tradition dont l’exposition Peinture-Peinture a montré en 1998 la vigueur et la prégnance singulières sur la scène artistique montréalaise. Pourtant les monochromes de Guy Pellerin échappent aux visées et préoccupations habituelles de ce genre, dans la mesure où ils ne participent pas d’un repli de la peinture sur elle-même. Ses œuvres ont plutôt construit, selon des paramètres qui ont au fil du temps varié, un rapport ténu, émouvant et oblique à la référence : référence, par le contour, aux objets dans Ateliers (1982), référence, par le format, à des précurseurs admirés dans la série Portraits (1994), référence, par la couleur, à l’architecture de certaines façades (La Couleur des lieux, Copenhague, 1996), à une palette d’armoiries et d’uniformes caractérisant une ville donnée (Marché-Centre, Centre d’expositions Expression Saint-Hyacinthe, 1995). Pellerin pratique une monochromie in situ, déterminée ou infléchie par les lieux.
Il arrive alors que la peinture de Pellerin, apparemment si strictement picturale, se soit mesurée, par l’épaisseur variable des tableaux, aux volumes de la sculpture, par sa prise en compte de lieux référenciés, aux conditions et aux possibilités de la photographie, et par sa présentation en série, aux effets et aux ambitions de l’architecture. Pas étonnant que la revue Parachute, au moment d’illustrer la page couverture du premier numéro qu’elle consacrait à cette pratique, ait choisi d’y donner à voir une œuvre de Guy Pellerin. Le numéro s’appelait Que Peindre ? C’est-à-dire quelle référence pour la peinture ? Or c’est bien le paradoxe de la peinture de Pellerin que d’avoir su conjuguer le symbole par excellence de l’abstraction picturale la plus radicale, à savoir la monochromie, et l’attachement référentiel de la photographie, à savoir un lien, incontournable mais cultivé, avec le lieu de la captation chromatique. L’œuvre de Pellerin est tout entière appuyée sur la reconnaissance et la mise en tension de telles contradictions : les couleurs qui nous parviennent, présentées sur de petits rectangles monochromes alignés à travers un dispositif d’accrochage qui varie selon les expositions et les projets, sont des » couleurs trouvées » mais pourtant elles sont inimitables, longuement élaborées couche par couche, et elles résistent de plus à toute désignation langagière qui nous servirait à en évacuer le trouble et la séduction. Pellerin rend caduc tout exorcisme de la couleur par sa réduction au nom juste : » c’est orange » ou » terre de Sienne » ou » nacarat » ou » amarante « . Mises en séries, ses » citations chromatiques « , comme il les appelle, procèdent à la fois d’un arrachement à leur support d’origine et d’une réassignation, par le travail de perception et de mémoire du spectateur, à un lieu qui est tout à la fois réel, imaginaire et affectif. En tant qu’elles sont citées, les couleurs de Pellerin parlent du monde où nous vivons, elles pointent un objet allusif (édifice, tableau, confrère) à jamais dérobé au regard, mais rendu sensible à travers l’appropriation de son seul vêtement de couleur. Du même coup, elles invitent à un aller-retour infini, un circuit bouclé en huit, entre la dérobade de l’objet évoqué et le désir du sujet de voir, percevoir et rappeler à soi ce qui de l’ailleurs, proche et loin dans la mémoire, colle encore à la couleur. Au nœud de ce circuit, Pellerin impose la présence résonnante et tranquille des tableaux, toujours exposés candidement avec les contraintes que l’artiste se donne à chaque fois et qui rendent possibles et sa peinture monochrome et la prise que celle-ci revendique sur le monde.