Karianne Trudeau Beaunoyer
Lauréate du prix Émile-Nelligan
Karianne Trudeau Beaunoyer,
Je suis l’ennemie,
Le Quartanier
2020
Karianne Trudeau Beaunoyer est née en 1991 et vit à Montréal. Elle est l’autrice de Je suis l’ennemie, paru au Quartanier en 2020. Titulaire d’un diplôme de maîtrise en recherche et création littéraire de l’Université de Montréal, elle a été membre du comité de rédaction de la revue Mœbius de 2017 à 2019.
Commentaire du jury, par Jonathan Lamy, président.
Recueil de poèmes en prose inventif, dense, jamais prévisible, Je suis l’ennemie témoigne d’une maîtrise du langage de très haut niveau et d’un travail du sens inépuisable. Ce premier titre de Karianne Trudeau Beaunoyer trace un récit des origines où la mort accompagne la venue au monde, où vivre est un deuil. Il s’ouvre sur l’image d’une grossesse gémellaire, où l’un des fœtus se voit incorporé par la mère ou la survivante. Cette jumelle fantôme, revenant en tant que « ma miette » tout au long de la narration, vient hanter et habiter le corps du sujet, de même que la vie familiale, où tout semble à la dérive, à la manière d’un album de photos en morceaux.
Se détachant de sa propre vie, de cette enfant qu’on a voulu sage, la survivante affronte paradoxalement sa propre absence et ce qui bruit en elle : « Je disparais. La répétition m’attire. Que signifie ne pas vouloir tenir son rôle ? » Contre les attentes, la laideur et la culpabilité, vivre est aussi un combat pour exister, pour apprendre à composer avec soi : « Je prends la joie pour ce qu’elle est, une version miniature de la mort, qui interrompt le temps avant de s’interrompre. »
Finalistes du prix Émile-Nelligan
Andréanne Frenette-Vallières,
Sestrales,
Le Noroît
2020
Symon Henry,
L’amour des oiseaux moches,
Éditions Omri
2020
Andréane Frenette-Vallières a grandi à Mont-Saint-Hilaire. Elle détient une maîtrise en études littéraires de l’Université du Québec à Montréal et travaille depuis quelques années aux Éditions du Noroît. Sa poésie jouit d’une belle reconnaissance dans les milieux littéraires québécois et international. La poète fait notamment rayonner la région de la Côte-Nord depuis la parution de son premier recueil de poésie, Juillet, le Nord (Noroît, Prix Félix-Leclerc). Son deuxième recueil, Sestrales (Noroît), finaliste au Prix des libraires et, maintenant, au Prix Émile-Nelligan, est ancré lui aussi dans les paysages de la Minganie, d’Anticosti et de la Basse-Côte-Nord, et interroge l’existence et l’isolement depuis le prisme de ces lieux. Andréane Frenette-Vallières poursuit actuellement l’écriture de son prochain livre, un essai littéraire sur les formes de l’ermitage contemporain, portées par des voix de femmes.
Commentaires du jury
Sestrales nous accueille dans un univers de dépouillement et d’amplitude conjuguée, une cabane près d’une mer froide, voire glaciale, où « le temps passe / avec la même lenteur / que les astres ». On y glisse comme dans un fleuve, avec précaution, pour pas trop remuer ce qui en soi et tout autour violente. Cette cabane est habitée par la figure d’une sœur, à qui on prête parfois l’énonciation et dont on ne peut dire avec certitude si elle est réelle, fantasmée, ou encore les deux, à la fois compagne de solitude et correspondante, astre et forêt, hôte et ombre imaginaire de soi.
S’inscrivant dans la foulée de son première titre (Juillet, le Nord), ce recueil d’Andréane Frenette-Vallières se montre attentif au paysage et au passage des saisons, laissant venir ce qui traverse et cherchant ce qui respire. Il s’y déploie une poésie sobre et efficace, intime et vaste, où le peu, et même le très-peu, sont remplis d’horizon. On y pose un regard affectif sur le monde, on y étreint la mélancolie pour en faire sourdre la lumière : « À chaque peine, chaque / désolation / je trouve un miracle ».
Symon Henry est un animal aquatique nocturne s’ébaubissant au contact des pensées complexes, des réalités fluides et des genres incertains. Ielle se transdisciplinarise principalement de musiques de concert, d’arts visuels et de poésies.
Son premier recueil, son corps parlait pour ne pas mourir, ainsi que son premier livre de partitions graphiques, voir dans le vent qui hurle les étoiles rire, et rire, sont parus en 2016 aux Éditions de la Tournure. Le recueil poético-sonore L’amour des oiseaux moches, publié en 2020 aux éditions Omri et finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur Général, a représenté un aboutissement important dans son parcours. Il sera d’ailleurs présenté sur scène le 9 septembre prochain, en mots, dessins et musique, par l’Ensemble contemporain de Montréal (ECM+).
Il y a quelque chose du manifeste dans ce projet ambitieux, exalté, transdiciplinaire et collectif. Poèmes accompagnés de partitions graphiques, suite de « tableaux poético-sonores » édités et imprimés avec soin, ce livre tient du chant choral. La poésie y est un art total, portée par l’expérimentation et par un militantisme lyrique. À travers ses variations mélodiques et multilingues, L’amour des oiseaux moches dit l’urgence d’opérer un renversement joyeux des isolements, des mépris et des marges.
Commentaires du jury
Donnant la parole aux « khawal – tapettes / freaks / guédailles / importé·es » et à « ces fauves en nous », l’écriture inclusive de Symon Henry convoque un orchestre de références – à l’Égypte, à la musique et à la poésie québécoise – où Schubert, Oum Kalthoum, Anne-Marie Alonzo et Raoul Duguay côtoient des écritures plus contemporaines. Dans sa révolte et sa réflexion sur l’héritage culturel et sur la violence reçue et vécue, le sujet se demande : « quelle partie des souvenirs / faut-il garder vivante / pour ne pas devenir fou·folle » ? Façonné de nécessités, cet opéra poétique et pictural fait résonner un appel à la tendresse et à la reconstruction.